jeudi 18 mars 2010
histoire d'o
La vie d'une femme, écrivait la critique littéraire française Dominique Aury en 1958, est "chargée de vérités de deux sortes: celles qui concernent la soumission et la folie en amour– et celles qui concernent la vie de tous les jours". De nos jours, la littérature abordant la vie des femmes a tendance à se concentrer sur le quotidien, le travail, les enfants, les rencontres sur internet, plutôt que sur la passion. Pourtant, il arrive que la folie jaillisse en surface, en un glorieux tumulte. C'est précisément un de ces moments que nous sommes en train de vivre avec l'adaptation en bande dessinée du plus érotique et du plus osé des livres français, un livre qui sent encore le soufre plus de 50 ans après sa première parution.
La collection de bande dessinée Eurotica de NBM vient de sortir une toute nouvelle édition de luxe d'Histoire d'O par Guido Crépax, basée sur le roman éponyme. Lorsque le livre fut publié sous le pseudonyme de Pauline Réage en 1954, il souleva une tempête dans le Landerneau littéraire parisien. Les intellectuels, convaincus que l'auteur était l'un d'entre eux, s'acharnèrent à percer le secret de l'ouvrage. On soupçonna George Plimpton, André Malraux et Raymond Queneau; d'autres prétendirent l'avoir écrit. Le personnage principal, O, est une photographe de mode parisienne qui se soumet à une série infinie de tortures sexuelles pour le plaisir de son amant qui joue les chefs d'orchestre. En sa présence et avec son approbation, elle est fouettée, violée et abusée d'innombrables façons. L'auteur, dont l'identité fut tenue secrète pendant quarante ans, sortit de l'anonymat en 1994. Au grand dam de certains, et confirmant les soupçons d'autres, il s'avéra que c'était une femme, Dominique Aury, qui avait écrit ce roman où elle racontait ses propres fantasmes.
C'est lors d'un entretien avec John de St. Jorre pour le New Yorker en 1994 que Dominique Aury révéla son identité, et confessa enfin qu'elle avait écrit ce roman pour son amant, Jean Paulhan, éminent intellectuel qui en avait rédigé l'introduction, "Le bonheur dans l'esclavage". La liaison d'Aury et de Paulhan, un homme marié, débuta dans les années 1930, alors qu'elle avait une trentaine d'années et qu'il était déjà sexagénaire, et se poursuivit jusqu'à sa mort à lui, en 1968. Lors de l'interview accordée à St. Jorre, Aury raconta de façon touchante qu'elle avait écrit ce roman de peur que Paulhan ne la quittât. «Que pouvais-je faire?» demande-t-elle. «Je n'étais pas jeune, je n'étais pas jolie, il me fallait trouver d'autres armes.» Son arme captiva non seulement Paulhan mais des générations de lecteurs, inspirant d'innombrables tributs et adaptations, notamment un film de Just Jaecquin en 1975 avec Udo Kier et Corinne Cléry, une chanson des Dresden Dolls et un court métrage de Lars von Trier.
source slate.fr
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