mardi 18 mai 2010

henry to brenda

"ce samedi... vers minuit (17/5/77)

Brenda chérie,

J'ai passé la plus grande partie de cette journée étouffante étendu en pyjama sur mon lit, avec l'impression qu'il ne pouvait vraiment pas faire plus chaud, même d'un degré.

J'étais plein de pensées incongrues, de la haute spiritualité aux abîmes du sexe. Cela a commencé par une de tes observations, un soir, à l'Imperial Gardens. Dont la conclusion était que la "cause" de l'envie sexuelle était la chaleur - et que c'est pour cela que les gens du Sud sont en la matière de grands artistes et des monomaniaques. Oui, et de là je me suis mis à penser aux pays les plus chauds d'Asie, l'Inde surtout, où il y a une liaison forte entre sexe et religion. Et de là à la déception éprouvée par mon ami sourd à son retour aux Indes, quand il découvrit que son Bajobi n'était pas le saint qu'il avait cru. Et j'ai pensé à saint Augustin et à saint Antoine et à d'autres comme eux, qui furent tourmentés par la chair mais ont vaincu ses aspects funestes. Quel mélange que notre monde, absolument ! Et il en a probablement toujours été ainsi.
Sexe et amour - le problème éternel. Ni l'un ni l'autre n'est la solution. Du moins, tel que je vois çà.
Si on domine le sexe, comme ont fait certains de ces saints tourmentés, on "monte en graine". Si on aime seulement (sans rien de physique), on vit un perpétuel tourment. L'imagination ne cesse de travailler, d'évoquer des diables, des entremetteurs à la Pandarus, des houris, et les visions les plus fantastiques. Ce type d'imagination est sans aucun doute impur, malsain, et aboutit parfois à la folie.
...
Oui, moi et saint Augustin. Etrange union pour un "athée" comme moi. Mais j'aime, je savoure chaque mot tombé de sa bouche. C'est pas du billard. Il y a des passages noueux, pierreux, qui font penser, s'interroger.
Mais ce qui me frappe énormément, c'est ce besoin d'une autre "Cité de Dieu". Car notre monde s'éboule rapidement. Sur le toboggan. Vite. Et j'aime penser que juste avant qu'il meure, il y avait nous deux, radieux exemples d'Amour. Je ne dis pas de pur AMOUR. Mais avec un grand A et un petit r...

Faut que j'arrête maintenant. Mon oeil faiblit. Je crois que maintenant je vais pouvoir dormir et rêver.
Jamais dans ma vie je n'ai eu des rêves aussi forts qu'en ce moment. Grâce à toi. Ce n'est qu'en rêve que je peux vraiment te capturer !

HENRY"

Lettres d'amour à Brenda Venus, sa dernière compagne (extrait) / Henry Miller (1891-1980).

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