mercredi 9 février 2011

lézard noir


Mishima était amoureux d’elle. La plupart des Japonaises voulait lui ressembler. Ses shows attirent des dizaines de milliers de fans. Elle prête sa voix aux personnages féminins des films de Miyazaki et joue les Castafiore dans ceux de Kitano. Bien que les années aient passé, toujours vêtue de robes–fourreaux glamour et couverte de bijoux, Miwa continue d’incarner au Japon le summum de la féminité. Qui est Miwa ?

Bien que ses traits se soient affaissés et que sa chevelure jaune paille lui donne l’allure d’une folle de Chaillot, dans le coeur des Japonaises, Miwa reste l'héroine qu’elle a toujours incarné au cinéma. Sur Cine Cinéma, un documentaire exceptionnel retrace la vie de celle que les Japonais considèrent comme une véritable icône, LA femme fatale par excellence : Miwa, de son vrai nom Akihiro Maruyama. Car contrairement aux apparences, et bien qu’elle continue de s’habiller comme une diva lors de shows géants consacrés entièrement à sa gloire, Miwa est un homme.

Sa célébrité est telle que le réalisateur français Pascal-Alex Vincent a toutes les peines du monde à l’approcher. Pendant les 12 mois qu’il consacre à ce projet de biographie, il en passe déjà plusieurs à tenter d’approcher la diva. Enfermée comme une princesse dans ses appartements kitchissimes, entourée de froufrous et d’une garde rapprochée qui garantit son statut d’intouchable, Miwa finit par lui accorder quelques rendez-vous. Et là, devant sa caméra (dont elle contrôle au cm près l’angle de prise de vue), Miwa raconte sa vie.

Une vie pas toujours très rose. Dans le Japon détruit de l’après-guerre, Miwa –que ses études destinaient à devenir musicien– est forcé, pour survivre, de se produire comme “chanteuse” dans des bars à pute fréquentés par les GI’s puis, progressivement dans des cabarets de Ginza. Il joue les séductrices et sa silhouette androgyne, sa bouche ambigue, ses paupières charbonneuses, lui assurent un certain succès auprès d’une clientèle avide de distractions exotiques. En 1957, Miwa fait ses débuts dans l’industrie du disque avec un 45 tours intitulé “méké méké”, traduction en Japonais de la chanson d’Aznavour : “Mé qué, mé qué, mais qu'est-ce que c'est?”. Le fait qu’il chante habillé en femme lui attire doublement les faveurs du public. Miwa affirme d’ailleurs que c’est lui l’inventeur du Visual Key (les groupes de rock androynes).

“J’ai chanté “Mé qué mé qué” pour la première fois dans le quartier de Ginza où je devenais très célèbre, car je lançais la mode du Visual Key. Et quand plus tard David Bowie ou Boy George se sont habillés comme ça, personne ne s’est étonné, car j’avais ouvert la voie.” Il est peu probable que David Bowie ou Boy Georges se soient inspirés de Miwa (qu’ils ne connaissaient probablement même pas) quand ils ont lancé leurs styles travestis, mais Miwa n’en a cure. Pour elle/lui, c’est un fait certain : avant elle/lui, personne dans le milieu de la chanson ne s’habillait en femme. Dans le milieu de la prostitution, de la danse et du théâtre, c’était une tradition très ancienne au Japon. Mais dans la chanson ? Miwa affime qu’elle était la première. Il est en tout cas certain qu’elle était la plus belle, la plus réussie, la plus incroyablement éclatante des chanteuses de son époque.

Son style attire rapidement l’attention des cinéastes. En 1958, la puissante compagnie Toho engage Miwa dans le film ”Etre femme” pour jouer aux côtés de stars. Il apparaît dès le générique, moulé dans une robe du soir, allongé comme une panthère sur un canapé de luxe. C’est à cette époque que sa vie change. Jusqu’ici, Akihiro vivait habillé en homme dans la vie quotidienne. “Le problème, c’est que je ne suis pas grand. 1 mètre 61. Quand je venais aux studios, tout le monde avait l’air déçu de me voir en homme. “Il a l’air d’un enfant, il est tout petit”. On me faisait des remarques désobligeantes. Je me sentais humilié. Très vite, je me suis dit que plutôt que d’être regardé de haut en bas, je n’avais qu’à faire en sorte qu’on me regarde du bas vers le haut. Puisque les gens se jugent sur leurs apparences et qu’il me fallait porter des talons hauts pour être admiré, je me suis dit que je m’habillerais en femme tous les jours. Et en effet, cela a tout changé du jour au lendemain. C’est quand même une histoire bizarre non ?”.

Comme si la société toute entière s’était liguée pour faire de lui un travesti à temps plein, Miwa finit par jeter sa garde-robe d’homme. Pascal-Alex Vincent commente : “Dans les années 60, il va totalement se féminiser, avec la complicité d'un public et de studios qui encouragent cette transformation en femme. Par la suite, chaque fois que Miwa apparaitra en public dans des vêtements d’homme, il fera un flop. Le public ne le veut pas en homme. Le public le veut en femme.” Bien qu’il se travestisse poussé par une certaine forme de nécessité, Miwa assume cependant totalement sa double identité. A une époque où le outing brise des carrières, Miwa affiche ouvertement son homosexualité. Il abolit les genres. Il tourne nu dans les premiers films underground de Shuji Terayama. Sa personnalité extravagante séduit jusqu’à Mishima, figure essentielle de la littérature d’après-guerre. Mishima va d'ailleurs faire de Miwa "l’objet d’une véritable fascination".

“Moi, je n’éprouvais rien pour lui. Ce n’était pas mon type d’homme. Lui, en revanche, était amoureux, il l’a avoué publiquement, dit Miwa. Un jour, à la TV, en pleine interview, il a dit : “Miwa tu es formidable, tu es intelligent tu es doué et en plus tu es quelqu’un de bon. Mais tu as 5% de défaut, et à cause de ce défaut absolument majeur, tu détruis toutes les qualités que tu as. Ce n'est que 5%, certes, mais, à cause de ce défaut toutes tes qualités sont annulées. » Très surpris, je lui ai demandé… Quel pouvait être ce défaut ? "C'est que tu n'es pas amoureux de moi." J'ai éclaté de rire, mais Mishima a gardé son air sérieux.”

Plus tard, en 1968, Mishima se débrouillera pour tourner dans le même film qu'elle, afin que Miwa l’embrasse publiquement. Dans Le Lézard noir, film mythique aux allures de série B délirante, Mishima joue le rôle d’un embaumé, virile statue de muscles, dont Miwa se sert comme d’un support masturbatoire… C’est peut-être la seule et unique fois qu’ils s’embrasseront. Miwa soutient en effet, fermement, n'avoir jamais été l'amant de Mishima. Doit-on le croire ? Après le suicide spectaculaire de l'écrivain en 1970, Kimiko (l'épouse de Mishima) tentera de faire détruire toutes les copies de ce film compromettant. Le Lézard noir reste pourtant dans l’histoire du cinéma japonais un des plus gros succès du box-office : “Il est resté à l’affiche pendant deux ans, explique Pascal-Alex Vincent, c’est d’ailleurs à cause de ce film que j’ai voulu faire la biographie de Miwa.

Dans les années 90, je travaillais pour une société qui avait un catalogue d'environ 200 classiques japonais, que nous exploitions en salles, mais aussi à la TV en en vidéo. Parmi ces films, "Le Lézard Noir" de Kinji Fukasaku, un film que j'adorais. Un jour de 1996, nous avons reçu un courrier de la Shochiku, le studio mythique qui avait produit ce film en 1968. Il nous était demandé de renvoyer au Japon l'intégralité du matériel lié à ce film, afin qu'il soit détruit. La Shochiku était prête à nous dédommager financièrement, et vite. La mort dans l'âme, je me suis exécuté. La raison de ce courrier ? La victoire de la veuve de Mishima, qui, après des années de procédure, a obtenu que ce film reste à jamais invisible. On y voit Miwa embrasser Mishima sur la bouche - un moment apparemment intolérable pour Mme Mishima. Cette dame est décédée en 2005, mais cette interdiction d'exploiter "Le Lézard Noir" court toujours."

Etrange histoire que celle de cette censure. Miwa, la star absolue du Japon, reste -malgré 50 ans d’une brillante carrière- marquée par un stigmate. Tout le monde a voulu qu’elle soit une femme fatale, une ogresse, une mangeuse d’hommes. Et c’est peut-être parce qu’elle a incarné tout cela, voire plus - en allant bien au-delà de ce qu’on attendait d’une jolie poupée glamour-, qu’elle reste malgré tout entourée par cette réputation de “monstre”. Monstre sacré, oui. Monstre quand même. La société donne parfois naissance à des êtres qu’elle sacralise pour mieux les mettre à part, du côté des choses anormales.

"Miwa - A la recherche du Lézard Noir", documentaire de Pascal-Alex Vincent / Diffusion sur Ciné Cinéma ce samedi 12 février à 19h45.

Libération.fr

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