"Une femme forcée à une fellation développe un cancer de la bouche", écrit Clémentine Autain dans la petite brochure Un beau jour… combattre le viol, qu’elle vient de publier aux éditions Indigènes. Sur quoi s’appuie-t-elle pour fonder une telle assertion ? Malheureusement, elle ne le dit guère. Aucune étude n’est citée afin d’étayer cette curieuse théorie de l’étiologie des cancers de la bouche. Or, ce type de propos de la part de quelqu’un qui se présente au public comme une experte dans ce domaine peut devenir très dangereux pour celles qui ont eu la malchance de subir un viol de ce type.
En effet, à l’horreur d’avoir été victime de ce crime s’ajoute la crainte de développer à l’avenir cette terrible maladie. Comme si la douleur du passé devait se doubler de celle d’un avenir plus effrayant encore. Et puisque Clémentine Autain ne donne aucun terme au développement d’une telle maladie, les femmes qui ont subi ces atteintes peuvent attendre avec frayeur jusqu’à la fin de leurs jours qu’elle leur arrive. Pourquoi dit-on des choses aussi fausses, aussi horribles et aussi cruelles aux femmes violées ? La réponse pourrait être que c’est en tenant ce type de propos que l’on fait comprendre à la population indifférente la gravité du viol.
Or, si l’on tient compte de la sévérité avec laquelle l’on punit en France les auteurs de ce crime ainsi que toutes les mesures mises en place pour faciliter et bien accueillir les plaintes des femmes, on peut conclure que notre société a bien pris la mesure de la gravité du viol. Et, à ceux qui rétorqueront que toutes les femmes violées ne portent pas plainte, on demandera en quoi leur annoncer qu’elles développeront à l’avenir un cancer de la bouche pourrait les aider.
On doit donc tenter une autre réponse. Dans un ordre sexuel comme le nôtre qui fait du consentement son pilier, le viol est le crime suprême. En effet, comment pourrait-on admettre la multiplicité des formes de vie, des plus chastes aux plus libertines, des plus routinières aux plus aventureuses, si l’on n’était pas assuré que le fait de passer outre le consentement d’autrui sera sévèrement réprimé ? Ceci devrait suffire pour tenir le viol comme un crime extrêmement grave sans avoir besoin d’y ajouter la possibilité de développer des maladies comme le cancer de la bouche, ni aucune autre d’ailleurs.
En effet, même si le viol ne produisait pas les tristes séquelles qu’il laisse sur ses victimes, il devrait être néanmoins sévèrement puni, car il s’agit de la plus grave atteinte au consentement et donc à notre liberté sexuelle. Or, si Clémentine Autain parle du cancer de la bouche comme étant l’une des conséquences du viol par fellation, c’est qu’elle n’est pas sûre que le consentement à la sexualité soit en lui-même aussi important et, si j’ose dire, sacré.
En effet, aussi bien pour cette auteure que pour le courant féministe auquel elle appartient, le consentement à la sexualité ne devrait pas être la règle qui organise la vie sexuelle dans notre société. Pour ce courant féministe, le consentement d’une prostituée ou d’une actrice de films pornographiques est, en vérité, dominé par l’hégémonie que les hommes exercent sur les femmes.
En bref, à ses yeux, le consentement à la sexualité est dissocié de la vraie liberté et c’est sur ce point crucial qu’il cherche à révolutionner notre système actuel. Le crime de viol n’est donc pas une atteinte au consentement mais un acte de domination sexiste, le plus grave mais néanmoins de la même nature que celui que l’on trouve dans la prostitution ou dans la pornographie, en assimilant ainsi les actes consentis et le viol. Ce que l’horreur de ce crime nous montre est la vérité de la mise à disposition du corps des femmes dans une société sexiste, la même que l’on retrouve voilée dans certaines formes de la sexualité consentie que ces groupes désapprouvent.
Clémentine Autain va plus loin car, à ses yeux, l’arme des violeurs «ressemble davantage au chantage affectif qu’à un Laguiole». Or, le fait d’obtenir un acte sexuel par chantage affectif peut être bien ennuyeux pour une femme mais on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un viol, car consentir ne signifie pas être éperdue de désir ou d’amour pour la personne avec laquelle on a un rapport sexuel. Mais si tout consentement donné par une femme dans une société sexiste peut être dominé, il est normal que la notion de viol s’élargisse et que, petit à petit, elle ne signifie plus rien. Car on appellera du même nom l’acte auquel on consent avec son partenaire sans en avoir véritablement envie et l’agression brutale d’un inconnu dans un garage.
Il semble évident que le principal enjeu de ces groupes féministes est de produire ce type d’amalgames, de définir le viol dans un système qui ne fait pas du consentement le fondement de l’ordre sexuel. Quoi qu’il en soit, si Clémentine Autain cherche vraiment à éviter aux femmes un cancer de la bouche, elle devrait écrire des brochures non pas contre le viol mais pour convaincre les fumeuses des risques qu’elles courent, aussi bien avec les blondes qu’avec les brunes.
Source libération.fr
Article de Marcela Iacub.
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