jeudi 1 décembre 2011
parle-moi d'amour!
On découvre avec stupeur les confessions intimes dessinées à quatre mains par Robert Crumb et sa femme Aline Kominsky, grâce à un beau livre et une expo parisienne. Ou comment rester drôle, cru et sexy après 40 ans de vie commune.
Sans les frasques de Robert Crumb, la bande dessinée moderne aurait sans doute un visage légèrement différent : Crumb a contribué dès les sixties à décomplexer le genre, y mêlant confessions sexuelles, quêtes obsessionnelles, reportages au cœur de l'Amérique. On sait moins qu'à côté de son œuvre de géant, existe celle de sa femme Aline Kominsky, artiste et auteur des premiers comics autobiographiques féminins, dans les années 60 et 70. Et l'on tendait à ignorer plus encore le fait qu'ils dessinent à deux, depuis pratiquement quarante ans.
Ils illustrent ainsi des histoires éparpillées entre des comics quasi auto-publiés et des journaux comme le New-Yorker. "Nos histoires pour le New-Yorker sont comme des reportages, puisqu'ils nous ont envoyé faire des BD dans des contextes précis, comme le festival de Cannes ou une Fashion Week à New York" explique le couple, qui avoue aussi, d'emblée, n'avoir jamais eu l'intention de faire un livre à partir de ses petits récits faits à quatre mains. Le point de départ se situe même dans un moment de pure distraction : alors que sa femme est immobilisée à la maison à cause d'une jambe blessée, Crumb lui propose de dessiner sur la même page que lui.
Confessions intimes à deux, autobiographie de leur quotidien, le livre assemblé à partir de ces historiettes qu'ils n'ont jamais cessé de faire ensemble, saisit un couple en pleine construction d'une vie commune, partant des frictions du début jusqu'à une communion de pensée, dans les années récentes. "Nous sommes progressivement devenus une seule chose à deux têtes" insiste Aline, pointant le fait que leurs dessins ont eu tendance avec le temps à converger l'un vers l'autre. Et cela alors qu'ils étaient clairement distincts aux débuts.
Pour autant, Aline ne singe jamais le style très reconnaissable de son mari ("je vis avec Rembrandt" dit-elle avec malice) : elle conserve au contraire une ligne brute ("primitive" analyse Crumb, admiratif), qui ne concède rien aux conventions du dessin ou du graphisme. Leurs pages faites ensemble sont traversées par de vraies fulgurances narratives, mettant au cœur de leur système, un ensemble de dialogues oscillant entre le très trivial (le sexe est très présent) et le très philosophique.
La famille aussi, est au centre de leur travail : la leur, qu'ils construisent brique par brique, n'hésitant pas à être explicitement anti-conventionnels : lorsqu'on leur demande s'il s'agit là d'un livre sur le couple et la fidélité et ils répliquent immédiatement qu'il s'agit plutôt d'une œuvre sur l'infidélité - "nous ne sommes pas monogames" lancent-ils sans bravade, en rajoutant tout de même qu'ils ne se quitteront jamais, non plus. Singulier de bout en bout, Parle-moi d'amour est un incroyable journal intime de couple, rempli de vacheries de l'un sur l'autre (et vice-versa), graphiquement étonnant et extrêmement touchant par sa brutale sincérité. On ne l'aurait pas parié, mais en famille, Crumb est presque meilleur que tout seul.
Parle-moi d'amour, R. Crumb & Aline Kominsky, Denoël Graphic l'expo avait lieu début novembre à la galerie Martel, paris.
Source GQmagazine.com
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