jeudi 7 juillet 2011
enfin
"Le cinéma obscène, quelle splendeur !", écrivit, en 1929, Paul Eluard à Gala. Et le cinéaste Luc Moullet, en 1997, dans les Cahiers du cinéma, prédisait que, "dans dix ou vingt ans", les gens se précipiteraient pour voir les films sexy et y "découvrir des merveilles". Aujourd'hui, ces avis ne sont toujours pas consensuels, mais cet énorme dictionnaire coordonné par Christophe Bier et requérant les compétences d'une petite trentaine de rédacteurs entend constituer une étape vers une meilleure compréhension d'une cinématographie aujourd'hui disparue (c'est désormais l'affaire des productions vidéo, exclues de l'ouvrage).
Tournés en 16 et en 35 mm entre 1974 et 1996, et proscrits à la télévision par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) quand ils ignorent délibérément le préservatif, les 1 813 films ici recensés ont été pour la plupart rejetés dans un purgatoire. Ce cinéma-là plaide ici pour un droit à être étudié avec son histoire, ses codes, ses modes, ses auteurs, ses stars, et cet outil de référence sur un genre déconsidéré, oublié des histoires officielles, affiche son ambition d'expliquer pourquoi il appartient au patrimoine culturel du cinéma français. "L'ambition n'est pas d'écrire un guide, mais bien cette évolution des représentations de la sexualité et du désir", écrit Christophe Bier. On aura idée de la démarche en constatant qu'y figurent L'Age d'or, de Luis Buñuel ("anthropologie psychanalytique et surréaliste étonnante"), Le Dernier Tango à Paris, de Bernardo Bertolucci ("grand film d'auteur, polémique et dérangeant"), L'Eté meurtrier, de Jean Becker ("cinglant réquisitoire contre le viol"), ou La Lumière d'en face, de Georges Lacombe, à propos duquel François Truffaut dénonça, en 1956, "la complicité indulgente de la commission de censure" et dont on célèbre ici la "simplicité élégante". Le critère de sélection est la présence de scènes érotiques plutôt que la distribution dans un circuit spécialisé. Chaque film est doté d'une fiche technique complète, d'un résumé, d'un appareil critique et de notes très précises où figurent motifs d'interdiction ou de scènes censurées, changements de titre ou de classement par la commission. Aucune illustration ne vient troubler les motivations d'un lecteur ciblé comme historien, sociologue, cinéphile plutôt que voyeur.
Entre autres surprises, l'entrée consacrée à Ah ! Les belles bacchantes, de Jean Loubignac, "film érotique incroyablement osé pour l'époque" (1954), où "la plastique furieusement fifties d'une ribambelle de donzelles" s'étale entre les sketches de Robert Dhéry.
Plus loin, cette révélation : Les Brouteuses (1976) est l'un des rares pornos français (hardcore) "qui met en scène des séquences de sexe entre des acteurs noirs et des actrices blanches". Présenté à Cannes, Dehors-dedans, d'Alain Fleischer (1974), s'offre la plaisanterie ("potache", écrit Jacques Zimmer) d'orner "le menton de Nixon d'une barbiche de poils pubiens". Vous aviez oublié Faire l'amour... de la pilule à l'ordinateur, de Jean-Gabriel Albicocco (1968) ? Pas grave, l'auteur s'y "perd dans ses irisations, et son généreux plaidoyer en faveur de la récente loi Neuwirth et de la future loi Veil s'effondre à force de fadaises esthétisantes".
On peut évidemment apprécier l'humour ou la trivialité des titres, traquer les nanars (Hippopotamours est désigné comme l'un des plus consternants, avec entre autres une séquence où l'expression "elle prend son pied" est illustrée littéralement), se délecter des avis des censeurs ("A la fin, une scène de sexualité de groupe, homo- et hétérosexuelle, est apparue à la limite de l'inadmissible", sur Miss Partouze) ou des cotations de la Centrale catholique ("S'abstenir par discipline chrétienne").
Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques.
Sous la direction de Christophe Bier. Editions Serious, 89 €.
Source lemonde.fr
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