Le 11 mai dernier, Brice Hortefeux annonce au Sénat que l'on compterait 18 000 à 20 000 prostitués en France (Le Monde du 11 mai). Sachant qu'il y a officiellement 400 000 travailleurs du sexe en Allemagne, on se demande comment le chiffre français a été trouvé.
En France, plein de chiffres circulent dans les journaux au sujet de la prostitution mais on ne sait jamais d'où ils viennent. Nous ne savons rien de la méthodologie. Aucune étude scientifique n'est jamais citée, seulement des estimations de militants anti-prostitution qui ont tout intérêt à présenter une version partiale des faits afin de renouveler les subventions de leurs associations. Ces associations "lobbient" ensuite le gouvernement pour imposer leurs chiffres.
L'autre source de chiffres est l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) qui travaille directement sous les ordres du gouvernement. L'OCRTEH évalue le nombre de prostitués à partir du nombre de personnes arrêtées. Par exemple, en 1999, l'OCRTEH déclare que "5 000 personnes prostituées ont été contrôlées". Sans expliquer pourquoi, l'OCRTEH évalue ensuite, dans un rapport d'information, "le plan numérique de la prostitution de rue au double de ces contrôles, soit 10 000 à 12 000 personnes, auquel il convient d'ajouter 3 000 professionnelles qui exercent dans les bars à hôtesse ou salons de massage".
Nous n'avons donc que des estimations qui ne reposent que sur la répression des travailleurs du sexe travaillant dans la rue. A l'heure de l'Internet et des nouvelles technologies, et étant donné la répression accrue du travail de rue depuis la criminalisation du racolage passif, on pourrait au contraire penser que le travail de rue ne représente plus qu'une minorité de l'industrie du sexe en France. En comparaison, au Royaume-Uni on estime le travail sexuel de rue comme représentant seulement 15% de l'industrie du sexe britannique, tandis qu'en Suisse, le travail de rue représenterait 13% des travailleurs du sexe.
Il n'y a qu'en Suède où le nombre de prostitués est plus bas qu'en France. Mais la Suède est également connue pour sa politique anti-prostitution. Là-bas, depuis que les clients sont criminalisés, la prostitution aurait officiellement quasiment disparue. Mais, comme en France, le gouvernement suédois ne comptabilise que le nombre de prostitués de rue, quand bien même il neige cinq mois par an et que les travailleurs du sexe se sont déplacés dans des endroits reclus à l'abri de la surveillance policière afin de conserver leur clientèle.
Les pays comme la France qui ont des politiques répressives envers la prostitution ont tout intérêt à présenter des chiffres faibles, prouvant ainsi l'efficacité de leur système en comparaison des pays qui ont décidé de réglementer ou de tolérer le travail du sexe. En ne comptabilisant que la prostitution de rue qui est la plus visible, ils ne font pas que minimiser le nombre des travailleurs du sexe, ils mettent en avant les travailleurs du sexe les plus précaires, celles et ceux qui ne peuvent pas échapper à la répression policière et préserver leur anonymat.
Parmi les travailleurs du sexe les plus précaires, il y a les migrants. Hortefeux dit à présent qu'il y aurait 80% d'étrangères parmi les prostituées. Ce chiffre est en nette augmentation par rapport aux données de l'OCRTEH de 1999. On peut y voir deux explications.
La première est que la répression du racolage vise en premier lieu les étrangères. La loi de sécurité intérieure du 18 mars 2003 qui a pour but autant la lutte contre l'immigration que la tranquillité publique des riverains a donc ainsi eu comme effet de gonfler le nombre officiel des étrangères, celles-ci étant arrêtées en priorité par la police.
La seconde, plus politique, est que ce chiffre de 80% concorde enfin avec celui des groupes anti-prostitution qui prétendent que 80% des prostituées seraient victimes du proxénétisme et de la traite des êtres humains (dont la Fondation Scelles). L'augmentation du chiffre des prostituées étrangères rend donc leur chiffre sur la traite un peu plus crédible. Mais encore faudrait-il que toutes les prostituées étrangères soient bien des victimes de la traite et non juste des migrantes.
La confusion entre les chiffres et entre les termes est constamment maintenue afin que l'émotion plutôt que les preuves scientifiques guide le législateur et justifie les lois répressives aux yeux du public. Hortefeux annonce qu'un rapport doit être remis fin juin dont l'enjeu est la lutte contre le proxénétisme. Mais là encore de quoi parlons nous exactement?
Quand l'OCRTEH et Hortefeux déclarent que quarante réseaux ont été démantelés en 2009, ils ne parlent que des arrestations, jamais des condamnations. La chancellerie ne communique jamais les chiffres des condamnations, ce qui fait que nous ne savons rien de l'efficacité de la loi de 2003 pour lutter contre le proxénétisme. Et connaissant les modalités des arrestations qui visent surtout à expulser le plus d'étrangers possible, s'agit-il de vrais réseaux de proxénètes avec violence et contrainte ou de communautés d'entraides entre migrants?
Quand Hortefeux parle de trois types de prostitution, il ne parle que de prostituées étrangères en sous-entendant qu'elles seraient toutes des victimes de proxénétisme. Suivant sa logique, leur nombre étant en augmentation, la loi sur le racolage serait même un échec. Mais dans ces chiffres, où sont les travailleurs du sexe français? Où sont les travailleurs du sexe hommes? Où sont les prostituées dites traditionnelles? Où sont les escortes sur Internet, les mères célibataires dans leur ville de province ou les étudiantes dont tout le monde parle tant?
La prostitution est confondue avec la traite des êtres humains pour trois raisons. Pour le gouvernement, il s'agit de lutter contre l'immigration en prétendant que toutes les prostituées étrangères sont des victimes de la traite et qu'il leur rendrait service en les expulsant. Pour les groupes anti-prostitution, il s'agit de lutter contre la prostitution elle-même en émouvant le public. Enfin, il s'agit de nier les revendications des travailleurs du sexe en les accusant d'être, soit manipulés par des proxénètes, soit d'être des proxénètes elles-mêmes ou eux-mêmes, soit qu'ils et elles sont minoritaires et donc non légitimes à être entendus.
C'est dommage, car les travailleurs et travailleuses du sexe s'organisent de plus en plus politiquement, notamment au sein du Syndicat du travail sexuel et que leur expertise de l'industrie du sexe pourrait être précieuse afin de lutter sérieusement contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, aujourd'hui instrumentalisés à d'autres fins.
Source lemonde.fr / Thierry Schaffauser membre du Strass, le Syndicat du travail sexuel.
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